ITW de Thomas Veillon, « tétraplégeek » et ancien médaillé Abilympics
Nous eu le plaisir d'interviewer la semaine dernière Thomas Veillon, médaillé des Abilympics à Séoul en 2011. Thomas est évidemment très investi dans l'idée de participer au changement de regard sur le handicap au travail... et il le dit !
Comment a commencé l’aventure Abilympics pour toi ?
Quand je me suis inscrit, personne ne connaissait. C’est Eric Dalhquist qui travaillait à ce moment-là à l’AGEFIPH, et qui est maintenant délégué général des Abilympics, qui m’a parlé de cette compétition. J’ai adhéré de suite à l’idée. À l’époque, j’étais encore aux études. Je finissais ma 2ème année en webdesign. J’avais envie de me lancer le défi. Me prouver à moi-même que j’étais capable de le faire.
Je me suis préparé comme un fou ! Je m'entraînais 4 heures par jour. Réciter le code par cœur, revenir à la base du web, se concentrer sur l’essentiel et surtout être le plus rapide possible. Parce qu’on a cinq heures pour réaliser la structure d’un site internet de A à Z, chose qui me prend des jours en temps normal ! La préparation était vraiment intense.
Après les régionales à Bordeaux et les nationales à Paris que j’ai remportées, je me suis envolé pour Séoul en Corée du Sud pour la grande finale internationale.
Sur place, ça ressemblait à quoi ?
Quand j’ai débarqué à Séoul, j’ai vraiment compris l’importance de la manifestation ! On a été reçus comme aux Jeux Olympiques avec les drapeaux des délégations, avec le comité d’accueil et tout. C’était très impressionnant. À ce moment là, on sentait bien la pression monter. En plus, j’étais arrivé deux jours avant la compétition. Le plus dur finalement, ça a été d’encaisser le décalage horaire.
En arrivant, j’ai essayé de me couper du stress extérieur, de m’enfermer dans ma bulle. La première chose que j’ai faite dans ma chambre d’hôtel, ca a été d’allumer mon ordinateur pour revoir une dernière fois mes codes.
J’ai d’excellents souvenirs de Séoul. Les Coréens sont très accueillants. La ville grouille de partout, c’est totalement différent de la France. On est totalement ailleurs.
Après tous ces mois de préparation, les efforts ont payé ?
Quand j’ai vu à quel point les Asiatiques étaient rapides, j’ai vite compris que ce serait vraiment difficile. Ils codent tellement vite, on dirait le dieu Shiva avec plusieurs mains. Déjà que moi, tétraplégique, je concourais contre des candidats malentendants alors bon, c’était un peu comme s’ils n’avaient pas de handicap. Pas tellement besoin d’entendre pour monter un site web, sauf si ta souris te parle !
À l’annonce des résultats, j’étais déçu de n’avoir gagné que la médaille de bronze. Mais la déception n’a duré que quelques secondes. Finalement, j’étais encore plus content d’avoir obtenu un résultat vu que je concourais contre des gens ayant toutes leurs capacités motrices.
Ma médaille, ça a été une vraie carte de visite ! Thomas Veillon, médaillé #Abilympics 2011 Click To Tweet
Le regard de compassion s’est transformé en admiration. J’ai obtenu de la notoriété et du respect de la part de mes pairs. Le handicap est devenu un bien joli détail par rapport à ce que j’avais réalisé.
Tu es passé de candidat à coach…
Oui, maintenant j’entraîne Wilfried Panatier qui participera à la même compétition que moi. En fait, je stresse plus que lui ! Lui est de nature très zen. Je l’ai prévenu qu’il comprendrait mieux une fois sur place. Qu’il fallait être préparé à supporter le stress et la pression. Pendant 6 heures, on est concentré sur notre travail, on transpire, on est tendu. C’est un effort pratiquement aussi intense physiquement que psychologiquement.
Je lui conseille de bosser, de bosser et encore de bosser ! Je l’aide pour la partie technique. Pour ce qui est de la préparation psychologique, les candidats ont des séminaires de cohésion sur deux jours. C’est important parce qu’on sent qu’on donne vraiment tout quand on est dans la compétition. Faut être prêt. Pour ma part, quand je suis rentré de Séoul, je l’ai bien senti. J’ai été malade pendant un mois. J’étais vidé ! Mais sincèrement, ça en vaut la peine. J’en ai gardé de merveilleux souvenirs et surtout la fierté d’avoir participé à ce grand événement.
De façon générale, penses-tu que le regard a changé ?
C’est sûr qu’il faut continuer à travailler pour modifier la vision que les gens ont du handicap, et les Abilympics sont une belle vitrine pour illustrer le savoir-faire des personnes handicapées. Les entreprises réticentes à embaucher des travailleurs handicapés se privent de compétences.
D’un autre côté, depuis 20 ans, le regard a bien changé. La situation du handicap est perçue différemment. Je le remarque tous les jours. Notre vie est facilitée par les améliorations techniques mais aussi par la meilleure acceptation des gens. Des films comme Intouchables ou des sketchs qui ont osé s’attaquer au tabou du handicap ont fait avancer la cause. Je trouve que l’humour est génial pour ça. Quand on en rit, ça fait moins peur.
Maintenant, quand je parle à mes clients, personne n’est surpris de me voir dans mon fauteuil. Au téléphone, par internet, déjà ça ne se voit pas. Mon handicap n’est plus un obstacle, je l’ai intégré. Je travaille, je sors, je voyage. C’est sûr que mon handicap est lourd mais j’ai une vie normale d’un mec normal !